Halal, Casher : Les nourritures célestes

    Signe des temps : il a fallu les crispations que l'on sait entre l'Occident et le monde musulman, la peur de l'immigration, pour qu'apparaisse en Europe un sujet de polémique nouveau : le halal, l'abattage rituel, cible récurrente d'accusations où s'entrecroisent les argumentations les plus diverses : le respect de la laïcité, la souffrance animale, l'hygiène. Une polémique dont le non-dit – l'hostilité ou la crainte de l'Islam- est bien dans l'air du temps. La preuve : l'abattage rituel en Europe n'est pas nouveau : il est pratiqué depuis des siècles par la diaspora des communautés juives. L'abattage rituel, qui est techniquement le même – l'égorgement des animaux pour les vider de leur sang- pour le casher ( conforme)  juif et le halal ( licite) musulman, se fait depuis fort longtemps dans les abattoirs français et européens sans avoir suscité, jusqu'aux crispations politiques récentes, de méfiance ni d'hostilité.

Nouveaux courants commerciaux

     Au-delà de ces controverses et de ces polémiques, ces nourritures rituelles représentent aussi un marché dont l'importance s'accroit avec l'élévation du niveau de vie moyen dans les pays émergents. Ce qui suscite de nouveaux courants commerciaux, dans la mesure où les pays à plus forte pratique musulmane sont souvent par ailleurs ceux où les conditions géographiques et climatiques sont les moins favorables au développement significatif de l’élevage. A quoi il faut ajouter que, aux Etats-Unis notamment, la nourriture casher a l'image d'une meilleure rigueur sanitaire et d'une meilleure qualité diététique, et où sa demande dépasse de façon significative celle du seul milieu juif pratiquant.

     Quoi qu'il en soit, 25% de la population mondiale est de religion et/ou de tradition culturelle musulmane : 1, 6 milliards d'humains. Contrairement à un cliché dominant, elle n'est pas majoritairement arabe. Elle est aux deux-tiers d'Extrême-Orient. Et près de la moitié ( 709 millions en 2010) se concentre dans quatre pays, l'Indonésie ( le premier, 200 millions), le Pakistan, l'Inde, le Bangladesh. Le monde arabe (Proche-Orient, Maghreb, péninsule arabique) n'en compte que 20%. L'Europe 3%. Le marché du halal est évalué à plus de 600 milliards de dollars, et connait, depuis deux décennies, une progression de 4 à 6% par an.

Le Brésil et Rotterdam

     Ce marché a ceci de singulier que, contrairement aux échanges agroalimentaires internationaux classiques, il n'est pas résiduel ni secondaire des marchés intérieurs nationaux. Aucun des pays consommateurs significatifs ne figure dans le peloton de tête des pays producteurs. En tête : le Brésil traite quelque 120000 bovins halal par jour, et c'est à São Paulo que travaille et contrôle la plus grosse agence mondiale de certification. Viennent ensuite l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Canada, l'Argentine. Et dans les échanges internationaux, l'une des grandes plateformes du commerce halal est le port néerlandais de Rotterdam. Enfin, loin de l'imagerie répandue en Europe du mouton égorgé maladroitement sur un trottoir ou dans une salle de bain par un père de famille musulman une veille d'Aïd el-Kebir, l’halal est devenu une filière industrielle en essor exponentiel. L'abattage rituel n'en est que la partie la plus visible et la plus controversée. Le principal en est dans l'utilisation du porc dans l'industrie agroalimentaire. Le porc est, autant qu'un fournisseur de viande, un gisement d'additifs agroalimentaires. Les technologies agroalimentaires ont recensé jusqu'à 185 usages du collagène porcin, des émulsifiants pour la pâtisserie aux gommes pour le collage du vin en passant par les bonbons, les soins dermatologiques et les dentifrices. Cette utilisation est restée longtemps invisible. Elle a d'abord été mise en lumière par les laboratoires, très sophistiqués, du Beth Din, l'organisme garant, pour la religion juive, du respect de la Cacherout (la discipline alimentaire religieuse) . Et peu à peu étudiée par les laboratoires musulmans, notamment les pays de la péninsule arabique, gros importateurs d'agroalimentaire et assez riches pour s'équiper de tels laboratoires. Ce travail d'enquête, qui risquait d'aboutir à la fermeture de marchés importants, a conduit l'industrie agroalimentaire occidentale à prendre le problème à bras-le-corps. Aujourd'hui, les multinationales développent des gammes de produits certifiés halal, des potages Nestlé, chorba ou harira,  en sachets, aux raviolis Zakia des célèbres poulets de Loué. Ce qui ne va pas toujours sans quelques fraudes : Mac Donald a été récemment condamné aux Etats-Unis pour avoir servi halal des hamburgers qui ne l'étaient pas. Mais ceci est une autre histoire.

Georges Châtain.

Encadré.
Halal et Casher : La cacherout juive est beaucoup plus contraignante que le halal, lequel se cantonne dans l'abattage rituel, la prohibition du porc et de l'alcool. La discipline casher, outre l'abattage rituel, prohibe les crustacés, les poissons sans écailles (raie, esturgeon, anguille, etc…), les fruits des arbres de moins de trois ans ; elle interdit aussi la proximité des viandes et des produits lactés dans un même repas. Mais la population juive mondiale ne compte que 14 millions de membres, dont les trois quarts se partagent entre les Etats-Unis (6 millions) et Israël (5 millions). En outre, elle est globalement beaucoup moins respectueuse des obligations religieuses. Elle n'est donc que très marginale d'un point de vue économique et commercial.