MARCHE DE L’ART : propos d’Emmanuel Alexis TAJAN Commissaire Priseur


Portrait d'Emmanuel TajanAvez-vous vu E.T ? » (Prononcer à l’anglo-saxonne)
     Voila une question qui pourra surprendre les nombreux flâneurs de l’hôtel Drouot mais pas les habitués. Emmanuel (Alexis) Tajan est «  E.T »: diminutif pragmatique mais peut-être aussi un peu révélateur….Entre un parcours atypique et une personnalité surprenante, la Revue du Commerce International a voulu se pencher sur cette grande personnalité du Marché de l’art.
     Emmanuel Tajan est né le 15 avril 1968, le jour de Pâques, souligne-t-il en plaisantant. Fils du célèbre commissaire-priseur Jacques Tajan il rentre modestement comme magasinier à l’âge de 20 ans chez « Ader-Picard-Tajan », prestigieuse maison de vente aux enchères de l’époque. Très rapidement il tente de développer un département d’art contemporain jusque- là inexistant : la première vente sera un succès le 14 avril 1990.
     Dés 1993 il suit les traces de Monsieur Pezzoli, metteur sur table à Drouot, qui lui propose de venir travailler avec lui : c’est notamment à ses cotés qu’il se forgera ses connaissances et sa réputation incontestée dans le marché de l’art.
     En 2002 il obtient discrètement son examen d’accès au stage requis pour diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et en 2003 celui d’aptitude à la profession de Commissaire-priseur judiciaire. Rarement au marteau, il n’en communique pas moins sa passion pour cette profession et c’est très généreusement qu’il a accepté de nous livrer son point de vue sur des questions certes récurrentes mais pour autant incontournables du marché de l’art.
                   
1- Comment qualifieriez-vous le marché de l’art aujourd’hui ?
     On constate de plus en plus une adéquation entre les marchés financiers et le marché de l’art où les mécanismes économiques traditionnels s’appliquent désormais. Avec le capitalisme et les nouveaux moyens de communication, tout s’accélère et prend une dimension plus globale ce qui rend le marché de l’art de plus en plus réactif.
     Avec la crise, le marché de l’art devient un marché d’opportunité : au terme « valeur refuge » se substitue celui de valeur d’investissement voire de spéculation. C’est notamment ce que l’on constate sur le marché de l’art chinois.
 
2-  L’ « affaire » des statuettes de la vente Yves Saint Laurent- Pierre Bergé (deux bronzes, tête de lapin et tête de rat) a suscité de nombreux rebondissements. Le fait que ces statuettes pourraient éventuellement retourner en Chine ne va-t-il pas, selon vous, remettre en question les us et pratiques du marché de l'art?
     Oui, si le fait est non seulement avéré mais aussi "publicized" car cette affaire créerait un "précédent". Comme tout précédent au sens juridique du terme, certains États ne manqueraient pas de l'invoquer pour revendiquer le retour d'œuvres d'art dans leur pays d’origine.
     Non, si le fait n'est pas "publicized" quand bien même il serait avéré officieusement. En effet tant que ce fait ne donne pas lieu à un élargissement de la définition du Principe de Restitution tel qu'il est par exemple strictement entendu pour les biens juifs spoliés, aucune contrainte légale ne pèserait sur les États pour que ceux-ci restituent des œuvres d'art à qui que ce soit et ce, quelle qu'en soit leur nature.

2 - Doit-on redonner les œuvres d'art issues de pillages et/ ou de vols?
     Oui, si et seulement s'il existe un cadre légal clairement énoncé et des termes tels que "Pillage"/"Vol" tout aussi précisément définis (aujourd'hui encore perdurent des principes tels que "le Droit du Vainqueur" ou "Droit du plus fort" totalement inacceptables pour tout Régime Démocratique digne de cet adjectif) avec une application non rétroactive !

3- Que pensez-vous de la Polémique qui en est née?
     Sur le fond, cette polémique peut sembler noble. En effet comment ne pas se rallier à l'idée selon laquelle un élément d’architecture, un objet funéraire ou religieux a bien été conçu pour un lieu déterminé à un moment donné de notre Histoire.
     Sur la forme, ses applications doivent être d'avantage sujettes à caution car comment expliquer le mutisme de ces mêmes états durant des décennies sinon par des motivations strictement "politiques" visant à exacerber aujourd'hui la fibre nationaliste des populations (stratégie classique des gouvernants pour réunir les conditions propices à une Unité Nationale de "façade", meilleur des dérivatifs en temps de crise économique ou le réflexe" naturel" est le repli sur soi.)
     Certains états ont non seulement eu une attitude passive voire laxiste face aux pillages (notamment en Amérique Centrale ou la faiblesse des crédits et des budgets nationaux ne permet même plus la surveillance de sites pourtant classés au patrimoine mondial de l'Unesco!!!) mais également active voire de complicité dans certains trafics. C’est le cas notamment d'objets funéraires provenant de tombes de Dignitaires en Chine ayant eu pour conséquence immédiate une véritable prolifération des Ventes aux Enchères Publiques d'œuvres de la Chine Archaïque dès le début des années 90 en Europe (comment expliquer cette prolifération alors qu'un Pilleur de tombes est passible en Chine de la Peine Capitale ?)
 
4 - Quelles conclusions en tirez-vous ?
     On ne peut que souhaiter une définition plus précise du "pillage" et de son corollaire la "restitution" en vue d'éclaircir et/ou d'assainir un marché de l'Art encore opaque pour la majorité des citoyens.
     Néanmoins, une Œuvre d'Art n'est-elle pas l'expression de la sensibilité en même temps que du Génie de l'Être Humain et à ce titre, n'aurait-elle pas vocation à être protégée, transmise et étudiée?
     Ne nous émerveillons-nous pas, européens, à la vue d'une statue Gréco-bouddhique, d’une terre cuite chinoise ou préhispanique, d’un masque africain ou d'un totem océanien, preuve s’il en était besoin que l'œuvre d'art a un caractère Universel et qu'elle est de ce fait destinée à voyager pour y être enseignée?
 
©RCI 2009 - Propos recueillis par Anne Villefayaud