Pêche au thon rouge : chronique d'un désastre annoncé

Les populations des pays développés ont pris goût aux produits de la Mer. Sur l'ensemble de la planète, la demande de poissons explose. Conséquence : Les océans s'épuisent. En Méditerranée, le thon rouge figure désormais parmi les espèces surexploitées. Comment est-on arrivé à menacer une pêche pratiquée depuis l'Antiquité?

Quelles mesures prendre pour arrêter l'impact dévastateur de la pêche au thon devant la pression du marché ? S'achemine-t-on vers des conséquences irréversibles pour nos océans ?

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Une espèce vulnérable

Le thon rouge atlantique est réparti dans l'ensemble de l'atlantique nord et des mers adjacentes en particulier la Méditerranée. Il effectue d'importantes migrations suivant des voies qui relient les régions froides, où il se nourrit, aux régions chaudes dans lesquelles il se reproduit.

Ses paramètres démographiques (longévité supérieure à 20 ans, acquisition de la maturité sexuelle entre 4 et 8 ans) sont ceux d'une espèce à faible reproductivité. Son comportement (bancs denses aisément repérables en surface) en font une espèce vulnérable aussi bien vis-à-vis des flottilles de grands senneurs que vis-à-vis des pêcheries artisanales.

Une  pêche vieille de 3000 ans devenue la plus rentable dans le monde

Certains l'appellent le «caviar», d'autres le «foie gras» de la Méditerranée. Et pour cause : 35 OOO $, c'est le prix auquel c'est vendu un thon de plus de 200 kg à la halle de poissons de Tsukiji à Tokyo, la plus grande du monde, en janvier 2007. (source : http://www.aujourdhuilejapon.com)).

Pêché depuis l'antiquité en Méditerranée, le thon rouge est devenu une espèce de haute valeur marchande. Avec l'essor du marché Sushi-Sashimi, depuis les années 80, il est le poisson le plus rentable et le plus cher vendu dans le monde. Un quart des thons pêchés dans le monde sont consommés sur l'Archipel nippon.

 

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Les techniques de la pêche moderne font appel à de gigantesques navires industriels, utilisant des sonars à la pointe de la technologie capables de localiser très rapidement et précisément les bancs de poissons. Elles permettent de répondre à la demande grandissante des marchés mais elles dépassent largement la capacité de renouvellement de la nature.

 

L'appétit des japonais pour le poisson explique cette pêche intensive   

   
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Pêche à la madrague du thon rouge méditerranéen

  Thonier senneur. La salabarde est pleine de thons hissés à bord

(Source : http://www.interet-general.info

  (Source : http://www.interet-general.info

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Deux stocks d'exploitation

Aujourd'hui la CICTA (Commission Internationale pour la Conservation du Thon en Atlantique), en charge de l'évaluation de l'état et de la gestion du stock du thon rouge, divise celui-ci en deux entités séparées par le méridien 45°W :

  • le stock "Est" qui se reproduit dans la Méditerranée
  • le stock "ouest"  qui se reproduit dans le golfe de Mexico.

Il s'agit là des aires de pontes identifiées mais on n'exclut pas que l'espèce pourrait se reproduire de façon opportuniste en d'autres lieux dès lors que les conditions qu'elle y rencontre sont favorables.

Du déclin du "stock ouest" ...

Le « stock ouest » sert de pêcherie aux Etats-Unis, au Canada et au Japon et à partir de 1970 un déclin important est relevé dans le stock. Vers l'année 1997, le nombre de poissons reproducteurs a chuté, ne dépassant pas les 15% de ce qu'il était en 1975.

Un «plan de restauration» adopté en 1998 par la CICTA s'ensuivit. Ce système, basé sur un contingentement des prises (fixation de TAC ou Total Autorisé de Capture), n'a pas réussi à rétablir le niveau souhaité. C'est alors que les regards des pêcheurs du monde entier se sont tournés vers le «stock est» de la Méditerranée.

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Un thon rouge  

(Source : http://www.futura-sciences.com) 

... A la mise en danger du « stock est » de la Méditerranée

Depuis 1998, la CICTA a également fixé un TAC pour le « stock est ». Le manque de fiabilité des données (nécessaires pour fonder un diagnostic sur l'état du stock, quantifier l'extraction qu'il subit pour finalement définir le TAC) reste l'obstacle principal à l'évaluation du « stock est ». En effet ce stock partagé est exploité par des pays aux intérêts souvent concurrents dans un contexte de surcapacité et de forte attractivité commerciale. L'augmentation de la valeur marchande du thon rouge a par ailleurs eu pour effet d'entraîner l'expansion de fermes d'embouche en Méditerranée.

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Cage de grossissement ou » fermes d'embouche » des thons rouges  

(Source http://www.ambitions-sud.net) 

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Ferme d'engraissage des thons ou « ferme d'embouche »

Capturés vivants à la senne, les thons sont remorqués en cages flottantes jusqu'à des cages ancrées à proximité des cotes. Ils sont alimentés de petits poissons pélagiques et engraissés en captivité jusqu'à atteindre une qualité de chair conforme aux importateurs japonais. A poids égal, la valeur d'un thon d'embouche est d'environ le double de celle d'un thon congelé de haute qualité. Les zones dans lesquelles sont installées les fermes de thon d'embouche sont : Espagne, Sicile, Croatie, Tunisie, Malte, Grèce, Chypre, Turquie.

Ce mode de production est passé de 200 t en 1997 à 30 000 t en 2005 (source : IFREMER).

Toutefois, des dérives importantes accompagnent cette activité. Les prises n'étant pas débarquées,  l'embouche constitue un moyen de camoufler un commerce « hors quotas ». D'un point de vue écologique, elle suscite également de vives inquiétudes dans la mesure où les poissons, capturés souvent très jeunes, n'ont pas eu le temps de se reproduire à l'état sauvage et de reconstituer les effectifs de cette espèce. Par ailleurs, cette pratique accentue les pressions de pêche sur les espèces "fourrage" (maquereaux, anchois, ...) pêchées au large des côtes africaines et destinées à nourrir les thons en cage.

En Méditerranée, l'Union européenne s'octroie 57% du total autorisé de capture (TAC), la Tunisie, l'Algérie, le Maroc et la Libye 27%, le Japon 9%. Mais d'autres pays sont également intéressés par la pêche du thon rouge, tels que la Chine, la Croatie, la Corée et le Taipei chinois. Mais au-delà du quota autorisé pour chaque pays par le CICTA, la situation est autrement plus complexe et plus compliquée. Surexploitation, surpêche, pêche non déclarée sont les mots les plus utilisés pour définir l'état dans lequel se trouve aujourd'hui le stock de la Méditerranée.

Une surexploitation qui échappe au contrôle

Les 42 nations représentées à la Commission Internationale pour la Conservation du Thon en Atlantique (CICTA) (où l'Union Européenne joue un rôle majeur) sont responsables de la réglementation de la pêche au thon rouge. Pourtant, le quota annuel de 32 000 tonnes fixé par la CICTA a été littéralement ''explosé'' en 2004 et 2005 : dépassé de plus de 40% avec des captures totales (légales et illégales) s'élevant à 44.948 tonnes et 45.547 tonnes respectivement.

Le plan dit «de sauvetage» du thon rouge mis en place par le CICTA en novembre 2006, prévoit pour 2007 la capture de 29 500 tonnes de poisons tandis que les scientifiques recommandent, pour éviter l'effondrement du stock, une capture de  15 000 tonnes.

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 (chiffres : le Monde)  

L'étude indépendante commandée par le WWF et intitulée ''The plunder of bluefin tuna in the Mediterranean and East Atlantic in 2004 and 2005 - Uncovering the real story'' (''Le pillage des Thons rouges en Méditerranée et Atlantique Est en 2004 et 2005 - la vraie histoire révélée'' ), révèle les conséquences désastreuses de la pêche illégale, clandestine et incontrôlée du thon rouge. Les flottes européennes (principalement françaises), libyennes et turques sont les principaux contrevenants. Ces pays ont largement dépassé leurs quotas de pêche et ont délibérément omis de rendre compte de leurs prises massives - évitant ainsi de payer les taxes, et ruinant toute possibilité de bonne gestion de la ressource.

Accord mondial sans précédent pour sauver le thon rouge

En janvier 2007, pour la première fois, les cinq organisations régionales du globe chargées de la régulation de la pêche au thon rouge* (représentant plus de 60 pays) se sont réunies à Kobe, grand port de pêche japonais pour trouver les moyens de freiner la surpêche et de sauvegarder le thon rouge.

*Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT), Commission de conservation du thon rouge du sud (CCSBT), Commission des pêches du centre-ouest de l'océan Pacifique (WCPFC), Commission interaméricaine du thon tropical (IATTC), Commission des thonidés de l'océan Indien (IOTC).

A l'issu de trois jours de réunion, les cinq organismes internationaux ont adopté le premier plan mondial de protection d'une espèce menacée de surpêche. L'Union Européenne (qui dispose du plus important quota) a accepté d'abaisser ses prises de thon rouge du sud de 20,7% d'ici 2010, à 14.504 tonnes contre 18.301 tonnes en 2006, selon un communiqué de l'Agence japonaise des pêches. Les Européens continueront néanmoins à pouvoir pêcher un peu moins de 57% des thons rouges en Méditerranée et dans l'Atlantique. Le Maroc, deuxième pêcheur de thon, va réduire son quota de 23,2% à 2.441 tonnes d'ici la fin de la décennie, précise le communiqué. Quant au Japon, de loin le premier consommateur mondial de thon, il diminuera ses prises de 2.830 tonnes en 2006 à 2.175 tonnes en 2010, soit une réduction de 23%.

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Marché au thon  

(source : http://terresacree.org/thon.htm)  

Des avancées insuffisantes pour les associations écologistes

L'adoption de ce plan mondial de sauvegarde début 2007 semble marquer le début d'une prise de conscience collective de l'urgence de la situation. Pour autant, les mesures annoncées pour contrôler et encadrer plus strictement la pêche du thon rouge seront-elles suffisantes pour
enrayer le déclin des stocks?
Pour les associations écologistes, sûrement pas. Elles préconisent des mesures beaucoup plus radicales comme la fermeture saisonnière de la pêche du thon rouge, un quotas de capture fixé à 15 000 tonnes par an (niveau au delà duquel le renouvellement du stock n'est plus assuré) et la réduction de la taille minimale de capture. Elles souhaiteraient également que les Etats usent d'avantage des moyens juridiques dont ils disposent pour sanctionner les flottilles qui ont surpêché.
Par ailleurs, elles dénoncent l'expansion anarchique des activités d'embouche qui menacent les écosystèmes marins et ne constitue pas une réponse durable à la gestion des stocks. 

La surexploitation et la mauvaise gestion des pêcheries ont déjà provoqué des effondrements spectaculaires de pêcheries, comme celle de Terre-Neuve, en 1992, entraînant la perte d'environ 40 000 emplois dans le secteur. Afin de ne pas répéter les erreurs du passé, la sauvegarde du thon rouge représente un défi majeur pour l'Humanité. Le bon fonctionnement des écosystèmes marins et la pérennité de l'activité de pêcherie: tels sont les enjeux d'une gestion durable de cette espèce.

Florence DOSTES

Principales références :

IFREMER, 2006, Le thon rouge, une espèce surexploitée, IFREMER,14p.

WWF, 2006 -The plunder of bluefin tuna in the Mediterranean and East
Atlantic in 2004 and 2005 - Uncovering the real story'', WWF,101p.

GREENPEACE, Le thon rouge en Méditerranée, Greenpeace,8p.

Sites WEB :
http://www.lapresse.tn/
http://www.wwf.fr/
www.oceans.greenpeace.org/fr/
http://www.lemonde.fr/
http://www.fr.wikipedia.org/
http://www.ifremer.fr/
http://www.aujourdhuilejapon.com/