L’inévitable marchandisation de l’eau

Masaï s'abreuvant

 

Compte tenu de la longueur de cet article , nous vous proposons de le telecharger ici au format pdf afin de l'imprimer et de le lire tranquillement.

Sur une population de 6,7 milliards d'habitants, 2 milliards d'individus n'ont pas accès à l'eau potable et 700 millions de personnes sont infectés par des maladies véhiculées par l'eau souillée (choléra, dysenteries, bilharziose, etc....).

L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé), estime qu'en dessous du seuil de 2500 m3 d'eau douce par habitant et par an, l'individu se trouve dans une situation de «vulnérabilité hydrique». Lorsqu'on observe une carte des ressources en eau douce disponible (voir ci-dessous), l'Amérique du Nord, le nord de l'Europe, l'Amérique du Sud et l'Afrique tropicale sont bien dotés en eau. En revanche, la plupart des États du Moyen-Orient, du Maghreb ou de l'Asie centrale sont dans une situation dite de « stress hydrique », c'est-à-dire qu'ils disposent par an de moins de 1700 m3 d'eau douce par habitant.

Disponibilité en eau douce en 2007

Ces inégalités ne sont pas liées seulement à la quantité d'eau disponible : la République Démocratique du Congo est abondamment arrosée par les pluies équatoriales, mais sa « capacité de production1Capacité des Etats à produire de l’eau utilisable par les consommateurs là où ils en ont besoin quand ils en ont besoin.» (ou de mobilisation) en eau potable est très faible en raison de son manque d'investissements et d'infrastructures. Idem pour la Sierra Leone qui dispose d'un volume par habitant et par an important (voir carte ci-dessus) mais qui du fait de son sous-développement (corruption, guerre civile sur fond de trafic de diamants, etc....) n'a pas un accès à la ressource (carte ci-dessous). Pour mieux se rendre compte de cette situation des chercheurs ont mis au point l'indice de pauvreté en eau2Indice de Pauvreté en Eau (IPE) : indicateur mis en place par les chercheurs du Center for Ecologie and Hydrologie de Wallingford (Royaume-Uni). Chaque critère se voit attribuer une notre 0 à 20, le total est donné sur 100. 1) Etat des ressources; 2) Accessibilité ; 3) Utilisation et répartition par domaine d’activité; 4) Capacité d’adaptation comprenant dépense des ménages, mortalité infantile, investissements dans le secteur de l’eau, loi et institution ; 5) besoin en eau de l’environnement, pollution des eaux, érosions, risque de crue. (Blanchon, 2009, Atlas de l’Eau, Autrement p.22 (IPE).

Indice de pauvreté en eau en 2007

Pourtant l'accès à l'eau est un droit fondamental. L'eau est considérée comme un bien commun et son accès est inaliénable dans plusieurs Constitutions. Mais l'eau a aussi un coût. Il faut la traiter, l'acheminer, entretenir les réseaux, développer de nouvelles zones d'adduction, etc.... Ces coûts accroissent fortement les inégalités entre ceux qui peuvent prétendre y avoir accès et ceux qui en sont privés (bidonvilles des agglomérations, zones rurales reculées, etc....). Ceux qui ne peuvent s'offrir ce bien vital à forte connotation culturelle et sociale sont aussi privés d'un moyen de production essentiel. Toutes ces inégalités sont liées essentiellement au problème de financement, et à la solvabilité des populations. Dans ce cas qui doit payer pour les populations pauvres ? L'Etat, le consommateur final, l'entreprise privée ? Et à quel prix ? Comment est constitué le prix de l'eau ? La distribution de l'or bleu peut-elle être confiée à des opérateurs privés, notamment dans les pays en développement ? Enfin est-ce que oui ou non l'eau est-elle une marchandise comme les autres... ?

1 - Les usagers.
A - Les particuliers.

1,1 milliard d'habitants n'ont pas accès à l'eau potable.
Un américain consomme plus de 250 litres d'eau par jour.

L'eau des particuliers ou eau domestique ne représente que 10% des prélèvements au niveau mondial.
La carte mondiale de l'accès à l'eau est assez révélatrice de niveau de développement. Pour l'eau potable, les pays du Nord disposent d'un accès universel, généralement garanti par la loi, avec un service continu et de bonne qualité. A l'opposé, les taux de disponibilité sont très faibles dans les pays les plus pauvres, avec un service discontinu (eau le matin ou le soir, coupure de plusieurs jours nécessitant d'avoir un réservoir et une pompe à domicile) et de qualité variable, le plus souvent non potable. Aujourd'hui 1,1 milliard d'habitants n'ont pas accès à l'eau potable.

Consommation d'eau

L'eau loisirLa société des loisirs que nous connaissons en Occident demande de grande quantité d'eau pour satisfaire nos « besoins » et nos « envies ». Le remplissage des piscines par exemple nécessite une quantité énorme pour quelques membres d'une famille, il faut par ailleurs compenser les pertes par évaporation tous les jours. Un bain demande 150 à 200 litres. L'arrosage d'un jardin demande 150 à 200 litres/m2/an. Laver une voiture nécessite 300 litres d'eau. Ces chiffres donneraient le tournis à un africain du Sahel qui ne consomment que 25 à 40 litres d'eau par jour. Le standard acceptable est de 50 litres pas jours et le réel confort est atteint à 100 litres par jour.
En effet nous ne sommes pas égaux devant les consommations moyennes journalières : un canadien consomme 327 l/j- un américain 296 l/j - un japonais 278 l/j - un espagnol 200 l/j - un français 137 l/j - un polonais 98 l/j - un soudanais 30 l/j.

Consommation d'eau par foyer

1. Des produits économes en eau (pays riches).

L'éducation des consommateurs aux choix d'appareils économes en eau (et en énergie) a permis de réduire la consommation de 10% à Barcelone, de 15% à Los Angeles et de 50% à Budapest entre 1990 et 2001. Un lave-linge3Etablissement MIELE, 2003. consommait 100 litres en 1983, en consomme 40 en 2000 ; un lave vaisselle qui consommait 48 litres en 1980 en consommait 18 en 1999. L'entreprise « Bosch » vient d'exposer à l'IFA 20094IFA : Internationale Funkausstellung Berlin. Le salon IFA de Berlin qui se tient chaque année début septembre est l'occasion pour les entreprises de présenter à un large public leurs nouveaux produits high-tech. Cet événement traditionnellement dédié aux nouvelles technologies telles que les écrans plats et les Smartphones s’ouvre désormais à l’électroménager. Des appareils toujours plus innovants et "intelligents" y sont présentés en avant-première. un lave linge ne consommant que 7 litres d'eau par lavage.

2. Réutilisation des eaux usées dans les centres urbains.

“Dans les pays développés, la majorité des eaux usées sont traitées dans des STEP (STation d’EPuration), cependant certaines villes comme Berlin ont opté pour une ré-infiltration dans les nappes après un passage dans la rivière. Ces nappes servent ensuite à alimenter en eau potable la capitale fédérale allemande.”

Israël réutilise 80% de ses eaux usées, ce qui couvre 25% de ses besoins.

Pollution à la source3. Pollution par les médicaments dans les pays riches.

Les particuliers des pays développés génèrent des pollutions, dont une est particulièrement problématique : il s'agit de celle causée par les médicaments comme les pilules contraceptives ou les antibiotiques. Ces derniers peuvent engendrer des bactéries résistantes aux produits pharmaceutiques et des substances perturbant la sécrétion d'endocrines qui pourraient être à l'origine de défaillances neurologiques et reproductrices congénitales. Il s'agit de stopper à la source (c'est à dire chez vous) ces polluants que le milieu naturel ne peut dégrader.

4. Les plus pauvres durement touchés par la pollution urbaine.

L'accès à l'assainissement dans le monde est un indicateur de la qualité de traitement des agglomérations. Dans les pays pauvres les effluents sont directement rejetés dans l’environnement, sans aucun traitement. Les eaux usées sont en parties constituées de déchets organiques, de virus et de microbes mais aussi, mélangés aux effluents industriels, des produits toxiques et des métaux lourds.

Acces assainissement

Dans les bidonvilles, les habitants sont contraints de s'approvisionner dans les eaux usées qui s'accumulent dans les bas fonds. Les plus pauvres sont donc les premières victimes de ce désastre écologiques et sanitaires. Malgré des progrès récents, le manque d'accès à l'assainissement est un des problèmes des plus aigus dans les pays du Sud : 2,6 millions d'habitants n'ont pas accès à un système d'assainissement de base. C'est le cas à Kibéra les plus grands bidonvilles d'Afrique avec 700 000 habitants situé à Nairobi (capitale du Kenya) : les déchets pullulent et il est coutume de dire qu'à Kibera il y a plus d'églises (sectes dérivées du protestantisme) que de toilettes. L'expression « flying toilet » désigne un sac plastique où la personne fait ses besoins et jette le paquet telle un Thierry la Fronde.

B - Les industries.

L'industrie représente 20% de prélèvement en eau au niveau mondial. Les papeteries font partie des plus gros consommateurs d'eau puisqu'un kilo de papier demande 324 litres, celui d'un kilo de plastique 185 kg, une puce électronique de 2 grammes emploie 32 litres d'eau (soit 16 000 fois son poids), un jean demande 10 900 litres (les enzymes nécessaires à donner l'aspect usé sont très polluants), quand à la fabrication d'une voiture il faut compter 400 000 litres d'eau5Source : Waterwise 2007 ; ONU 2006 in Atlas de l’Eau (2009) Blanchon David, Atlas Mondial de l’eau, Autrement, coll. Atlas/Monde, janv. 2009, p.32.

L'industrie restitue une partie de l'eau prélevée pour la production (pas d'évaporation comme dans l'agriculture). Cette eau est cependant chargée d'un certain nombre de polluants qu'il faudra séparer de l'eau selon des procédés mécaniques (dégrillage, dessablage, etc..) et des procédés chimiques (floculation, etc....) complexes.

Durant les 10 dernières années, les industriels ont fournis un véritable effort pour réduire les volumes utilisés. Les compteurs d'eau et la tarification progressive ont incité à réduire considérablement la consommation. A Laval (Québec) une boulangerie est passée d'une consommation de 23000 m3 à 940 m3. A San José (Californie) 15 entreprises manufacturières se sont regroupées dans un projet pilote. Elles ont réussi à économiser ensemble près de 3,4 millions de m3/an soit 2 millions $ en 1990.
Par ailleurs, la généralisation des systèmes de management environnemental, dont les exigences sont décrites dans la norme ISO 140016La norme ISO 14001 :2004 est une adaptation de l’ISO 9001 :2008 (exigences du système de management de la Qualité)., ont incité les responsables des entreprises à définir (et à formaliser) des objectifs ciblés sur la maîtrise de leurs impacts environnementaux significatifs. Il s'agit notamment des consommations d'eau et d'électricité ainsi que de leur production de déchets et de CO2. Les objectifs d'amélioration des performances environnementales sont affichés dans les entreprises permettant d'impliquer l'ensemble des salariés.

1. Pollution par les PCB.

Un problème que rencontre le pays développés est la pollution par les PCB (polychlorobiphényles). Commercialisés en France sous le nom de pyralène et utilisés massivement dans l'industrie7Ils ont aussi été utilisés comme fluides caloporteurs (dans les environnements à risques d'incendies, dont les navires transportant des carburants), ou comme fluides hydrauliques dans des environnements à risque ou à contraintes thermiques (mines..). On les a aussi utilisés dans les moteurs de pompe, fours à micro-ondes, ou comme additifs d’huiles ou de produits de soudures, dans certains adhésifs, peintures et jusque dans des papiers autocopiants. des années 1930 aux années 1970 comme lubrifiant, pour la fabrication des transformateurs électriques, condensateurs, sectionneurs de puissance, ou comme isolateurs dans des environnements à très haute tension (THT) en raison de leur relative ininflammabilité et de leurs excellentes caractéristiques diélectriques. Interdit à la vente depuis 1987, ces éléments sont classés comme perturbateur endocrinien et probablement cancérogène. Ils s’accumulent dans les sédiments des cours d’eau (estuaire de la Seine, delta du Rhône). En se concentrant dans la chaîne alimentaire durant de décennies, ils rendent les poissons impropres à la consommation.

Le coût du traitement est tel (environ 100 euros/m3) que les pouvoirs publics se contentent d'intensifier les mesures d'interdiction de rejet et d'accroître la surveillance. Le traitement de cette pollution restera donc à la charge des générations futures pendant plusieurs décennies.
L'Europe disposerait de 200 000 tonnes de PCB, (venant de transformateurs et condensateurs à détruire). La France (en raison de sa forte électrification et nucléarisation), puis l'Italie et l'Allemagne en détenaient la plus grande quantité (avec respectivement 45 000 t, 45 000 t et 30 000 t). Les destructions des transformateurs contenant des PCB sont surveillées par la DREAL (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement) ; les industriels sont tenus de respecter un calendrier qui a pris fin 2010.

Pour les industries des pays en développement, le problème est l'absence de traitement des effluents aqueux. Ces derniers sont rejetés directement dans la rivière (ce qui était le cas en Europe après la Seconde Guerre Mondiale). Un cas marquant est celui de la Chine où 70% des eaux fluviales et 90% des eaux souterraines sont contaminées par la pollution industrielle (tanneries, aciéries, etc....); en effet la Chine manque d'eau, elle compte 1/5ème de l'humanité, mais seulement 7% des ressources en eaux, dont 4/5ème sont concentrées dans le sud de la Chine. Nous vous invitons à lire le « ZOOM sur PEKIN » (onglet dossier).

C - L'agriculture irriguée: nourrir le monde.

Au niveau mondial l'agriculture consomme 70% des ressources en eau essentiellement pour l'irrigation. La mauvaise gestion de l'eau, est devenue une crise de gouvernance qui a un impact lourd sur la santé publique et l'environnement, tout en exacerbant les conflits, les tensions et les conflits autour des ressources en déclin. L'augmentation de la consommation d'eau n'est pas seulement une conséquence de l'augmentation du nombre de personnes ayant besoin d'eau et de nourriture, elle résulte également de la pollution et de la mauvaise exploitation des ressources en eau, à la fois directement par le rejet ou le ruissellement d'effluents dans l'eau, et indirectement par la pollution de l'air et des sols. Ces dégâts sont accélérés par la destruction des zones humides et le changement climatique. D'après le rapport de l'ONU8Janet L. Sawin : « Le manque d'eau pourrait prendre de court la prochaine génération” L’Etat de la Planète en collaboration avec le World Wacth Institute - juillet octobre 2003 (n°10-11). (mars 2003), "de récentes estimations laissent entendre que les changements climatiques seront responsables d'à peu près 20% de l'augmentation du manque d'eau dans le monde dans les décennies à venir".

Lac asséché1. Beaucoup d'eau pour produire des protéines animale.

Dans les pays développés, les crises de surproduction agricole mettent en exergue les gaspillages en eau provoquant l'assèchement des nappes et la concentration des polluants dans certaines zones de captage d'eau potable.


L'agriculture des pays riches doit satisfaire une demande de pays riches, ayant les moyens de s'offrir des protéines animales gourmandes en eau. Le régime alimentaire occidental repose en effet sur une proportion de viandes et de graisses animales très importantes : s'il faut annuellement 1500 litres d'eau pour faire pousser un kilogramme de blé, il en faut 4500 pour un kg de riz et ... 20 000 pour un kg de viande. En 1984, Pierre GOUROU9Pierre GOUROU, Riz et Civilisation, Fayard, Paris, 1984, p.11. avait mis en lumière le moindre gaspillage calorique des régimes alimentaires dominés par le végétal « une même surface, de même rendement, peut nourrir six à sept fois plus d'Indiens que d'Etatsuniens. ».

 

Tableau comparatif10Source : in Lasserre & Descroix, Eaux et Territoire, Presse Universitaire du Québec, p. 85, 2002. Frédéric LASSERRE est Professeur adjoint, Département de géographie, Université Laval, Québec (Québec), G1K 7P4. des quantités d'eau nécessaire à la production de protéines végétales et animales
 Quantité d'eau nécessaire...
2. Trop d’engrais azotés dans les sols.

En France, l’agriculture contribue à environ 75% des apports en nitrates (engrais azotées) et à 22% des apports en phosphates des eaux de surface. Les effluents contenant des nitrates en surdose contribue au développement des algues vertes ; on en ramasse 50 000 tonnes par an en Bretagne, comme tout déchet organique la décomposition de ces algues dégage du H2S (gaz sentant l’œuf pourri si < 0.1 ppm, mais devient inodore au-delà,  et devient mortel à 700 ppm durant 10 mn).

L'invention des engrais azotés au début du XXe siècle a révolutionné l'agriculture, multipliant les rendements et améliorant la qualité. Mais l’azote qui n’est pas absorbé par les cultures présente des risques car il peut diffuser dans l’environnement. Ainsi, selon les experts de l’ENA (Evaluation européenne pour l'azote réunissant 200 experts de 21 nationalités) qui se sont réuni en avril 2011 à Edinburgh (Ecosse), ont conclu que la concentration d'azote dans l'environnement a été multipliée par deux au plan mondial, et par plus de trois en Europe.

L’ENA  a estimé entre 70 et 320 milliards d’euros par an (soit entre 150 et 735 €/an/hab.) le coût imputable aux pollutions de l’air, des sols et de l’eau, de l’augmentation des gaz à effet de serre et de l’impact sur les écosystèmes. Au total, le coût de l’azote représente plus du double des bénéfices pour l'agriculture européenne (source : Journal de l’Environnement du 11/04/2011).

L’azote en tant que tel est inoffensif, mais dans sa forme activée provoque des problèmes en série. Plus de 10 millions d'Européens sont exposés à des niveaux d'azote (nitrates) dans l'eau dépassant les seuils réglementaires, avec un risque de cancer accru s'ils la boivent régulièrement. L’ammoniac, et les oxydes d’azote rejetés dans l’atmosphère par l’agriculture, l’industrie et les zones urbaines contribuent à augmenter les niveaux d’ozone, de particules et d’oxydes d’azote. Des particules qui augmentent la pollution de l’air et provoquent des troubles respiratoires tels que l’asthme, des cancers et réduit l’espérance de vie de 6 mois. Enfin, l’agriculture produit 70%, du protoxyde d’azote, qui est un puissant gaz à effet de serre. 

3. L’élevage intensif incontrôlé pénalise le buveur d’eau

 L’élevage étant une des sources les plus importantes de pollution par l’azote, les 200 experts de l’ENA (voir plus haut) réunis à Edimbourg ont appelé à un changement des pratiques agricoles, mais aussi dans l’industrie et un contrôle accru des véhicules. La Bretagne avec ses élevages porcins a détruit la qualité de ses nappes, si bien que l’eau du robinet est devenue impropre à la consommation dans le Finistère et les Côtes d’Armor, obligeant les administrés à consommer de l’eau en bouteille. 

L’OCDE précise qu’au cours de la période 1997-2002, les agriculteurs ont contribué à 1% du total des recettes perçues par les agence de l’eau dans le cadre de la redevance à la pollution et de prélèvement de l’eau. Dans le même temps les agriculteurs ont perçu 10 % des aides de la part de ces mêmes agences11  Pour nuancer ce propos, il faut noter que les agriculteurs ayant réalisés à leurs frais des barrages collinéens servant à stocker les eaux de ruissellement, de leurs propres parcelles de cultures raisonnées (avec peu de pesticides) sont taxés sur l’utilisation de cette eau..

Le ministère de l’Ecologie et Développement Durable  a confirmé sa logique de préservation de la ressource (qui n’est apparemment pas celle partagée par le ministère de l’Agriculture) : le Grenelle 1 de l’Environnement (article 24) a défini 507 captages d’eau potable prioritaires 12 Source : site Ministère de l'Écologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer  (www.developpement-durable.gouv.fr/) - (parution le 01/07/2009 section EAU). devant faire l’objet d’un plan d’action contre la pollution diffuse. Cet outil viendra en complément du dispositif des périmètres de protection mis en place par le ministère de la santé pour lutter contre les pollutions ponctuelles et accidentelles

4. L'agriculture valorise peu la ressource en eau .

L'agriculture représente les plus faibles valeurs ajoutées par million de m3 consommées comparées à l'industrie ; cela a permis la création du concept d'eau virtuelle (deuxième partie, dernier paragraphe). La réflexion de Barraqué13B. Barraqué, “ Les demandes en eau en Catalogne : perspective européenne sur le projet aqueduc Rhône-Barcelone”, Revue d’économie méditerranéenne, décembre 2000. prend ici tout son sens : "économiser un peu d'eau de l'agriculture, c'est en libérer beaucoup pour d'autre usage, dans lesquels la valeur économique de l'eau est beaucoup plus grande". Le tableau suivant est explicite14Source : Australian Bureau of Statistic 2004..

Valeur ajoutée par eau consommée

4. Une eau subventionnée qui encourage le gaspillage.

Lorsque la distribution de l'eau est subventionnée on assiste généralement à un manque manifeste de responsabilisation dans la gestion de la ressource. Dans les années 90, l'Australie en proie à une crise fiscale a mis un terme à la subvention à l'irrigation. Après un rejet unanime, les agriculteurs ont exigé que les agences de distribution qui les facturent leurs soient redevables, ce qui a conduit ces agences à bonifier leur gestion ; les coûts ont d'ailleurs baissé de 40%.

En France l'agriculture ponctionne 15% du total de la ressource, mais en restitue très peu (évapotranspiration), au final elle absorbe 50% de la ressource (durant les pics estivaux où ce chiffre atteint 80%). La France a connu la plus forte croissance de terres irriguées de toute l'Union Européenne : 25 000 ha de plus par an de 1961 à 1980, 48 000 ha entre 1980 et 1996, et 59 000 dans les années 1990 aux cours desquelles ont été mise en place les subventions spécifiques aux exploitations15Institute for European Environmental Policy, 2000..

Comme l'expose Boulanger16Pierre BOULANGER (09/01/2006) Une irrigation copieusement arrosée d’euros. Groupe Economie Mondiale – Science Po. www.gem.sciences-po.fr un producteur de céréales dans la Vienne ( Fance) reçoit moins de 340 euros/ha non irrigué, mais plus de 530 euros/ha s'il irrigue ses cultures. Cette volonté affichée de l'Etat français de subventionner l'irrigation a permis à ce pays de devenir le premier producteur de maïs (plante exotique extrêmement gourmande en eau). On est passé d'une surface de 300 000 ha en 1939 à plus de 3,1 millions en 2003.

Quelle est la conséquence du développement de l'irrigation du maïs (plante non adaptée à notre climat) ? En France, le 22 août 2005, suite à une sécheresse, les 20 départements les plus gros bénéficiaires de primes à l'irrigation ont eu l'interdiction d'irriguer. Le 20 décembre 2005, seuls 5 départements sont encore concernés par un arrêté préfectoral imposant la restriction totale. Tous font parties des 20 départements plus gros bénéficiaires de prime à l'irrigation. En somme conclue l'auteur « plus les agriculteurs sont subventionnés pour irriguer, plus ils sont pénalisés en cas de sécheresse. Les subventions deviennent un piège pour les bénéficiaires eux-mêmes ».

Irrigation du maïs

2 – Trouver de l'eau.

Aujourd'hui de nouvelles techniques existent pour répondre aux besoins en eau, nous avons choisi deux exemples qui nous semblent être représentatifs : les transports d'eau par aquatier ou grands sacs plastiques, et les usines de dessalement. Par ailleurs, nous avons souhaité aborder le problème juridique de la marchandisation des ressources en eau en prenant l'exemple de la vente d'une partie des eaux du Canada aux Etats-Unis, ce qui pose le problème du statut juridique de l'eau en tant que bien commercial. Enfin il sera utile d'aborder le thème de l'eau virtuelle qui est l'eau utilisée pour produire dans un endroit des biens exportables et consommée « virtuellement » dans un autre espace.

Sac d'eau1. Aquatiers et grands sacs plastiques.

Des navires citernes ou aquatiers sont régulièrement utilisés pour approvisionner les régions déficitaires en eau. C'est le cas de la Catalogne qui a fait appelle en mai 200817En mars 2008 il en restait plus que 20,8% des réserves d’eau douce. à des bateaux de 50 000 TPL 18TPL : Tonnage de Port en Lourd ou prise en compte de la capacité du navire avec son propre poids et celui de l'avitaillement.. Affrétés depuis Marseille et Tarragone. Cette solution est peu avantageuse si l'on compare aux coûts de la désalinisation (voir après), mais elle est adaptée aux situations d'urgence. Le groupe canadien Global Water Corporation exporte 18,2 millions m3 par d'eau par an à destination d'une usine d'embouteillement en Chine. Ces eaux proviennent de lacs d'Alaska (Bonnie Rose et Blue).

Concernant les les grands sacs plastiques 19Source : in Lasserre & Descroix, Eaux et Territoire, Presse Universitaire du Québec, p. 101, 2002. , la compagnie Aquarius Water Trading and Transportation Ltd achemine de l'eau potable du Pyrée (Grèce) jusqu'aux îles voisines dans d'énormes citernes de polyuréthane tirés dans la mer. La Nordic Water Supply (NWS) approvisionne le nord de Chypre depuis la Turquie selon le même procédé pour un volume annuel de 7 millions m3. Aquarius exploite huit citernes souples de 790 m3 et deux de 2200 m3. Les citernes souples de 790 m3 présentent un diamètre, une fois remplis, de 2 mètres, ce qui leur permet d'entrer dans de petits ports. Cette entreprise utilise désormais des citernes de 20 000 m3, tandis de la NWS entend exploiter des citernes de 30 000 m3. Cette technologie possède un coût de revient plus avantageux que les aquatiers. Les coûts de fabrication qui varient entre 125 000 et 275 000 $ (bien moins cher qu'un navire aquatier) et l'entretien est facile. Cependant ils ont besoin d'une infrastructure d'accueil, pour le remplissage (au départ) et le pompage (à l'arrivée). De plus les traversées en haute mer ne sont pas recommandées (des citernes souples se sont éventrés entre Chypre et la Turquie, distant de seulement 110 km).

Citerne souple

Au regard de ces avantages et inconvénients, de nombreux observateurs pensent que la technologie de transfert d'eau par aquatier ou citernes souples ne peut constituer qu'une solution d'appoint. Mais selon Lasserre (2002, op. cit.) il convient d'être prudent : on estimait la même chose de la technologie du dessalement il y a 10 ans. Le récent projet d'entente d'acheminement de 50 millions de m3/an entre le fleuve Manavgat (Turquie) et Israël pourrait être l'illustration du potentiel du transfert d'eau par voie maritime.

2. Usines de dessalement.

- Pays du Golfe : la dépendance du dessalement.

Adduction d'eau potableDans les régions du monde où le manque d'eau est chronique et bien pourvu en moyens financiers, les usines de dessalement20Deux techniques sont principalement employés : thermique (évaporation) et osmose inverse. Cette dernière est plus fiable et plus économe en énergie (4 à 5 kWh/m3) elle consiste à appliquer à l’eau une pression suffisante pour qu’elle franchisse une membrane ne faisant passer que les molécules d’eau mais pas celles de chlorure de sodium (sel). semblent une solution pour répondre à la pénurie d'eau potable 21Pour l’instant il n’existe aucune législation concernant la potabilité de l’eau issu de ce traitement.. Ces usines ont un coût énergétique de 2 à 3 fois supérieur à celui des ressources classiques.

L'Arabie Saoudite produit 17 % de l'eau de dessalement à l'échelle du globe (38% pour le total de pays de la péninsule arabique). Le royaume a construit une trentaine d'usines de déssalement, installées le long de la mer Rouge. Ces usines couvrent presque la moitié des besoins en eau du pays pour l'usage domestique et urbain. La capitale Ryad est alimentée à 50% grâce à cette eau produite par dessalement, notamment par l'usine de Jubail. La dernière usine en date sera une usine intégrée à la centrale thermique de Shoaiba, sur la mer Rouge. Elle sera capable de produire 900 000 m3 par jour.

Le prix de l'eau en Arabie Saoudite est 100 fois moins élevé qu'en France et la consommation est le double que dans l'hexagone. Cela s'explique par l'utilisation du gaz naturel (non encore exporté) utilisé pour le fonctionnement des usines de dessalement. Comme le souligne Lacoste22LACOSTE Yves, L’eau dans le Monde, Les Batailles pour la vie, Larousse, Petite Encyclopédie, 2008, p. 45, « Le prix de revient reste un vrai secret politique (...). La dynastie saoudienne, fière de ses traditions bédouines, tient à manifester son opulence en faisant couler de l'eau dans la capitale au milieu du désert pour arroser gazon et pelouse ». Il ne faut cependant pas négliger le poison que représentent la salinisation des sols lorsque les zones arides sont irriguées à outrance (cas de l'Amou Daria et Sir Daria se jetant dans ce qui reste de la Mer d'Aral).

Mais, l'Arabie Saoudite loin de réduire sa vulnérabilité accroît sa dépendance au dessalement pour alimenter ses grandes villes saoudiennes comme Médine, la Mecque, Djedda ou Riyad. Et on ne peut évidemment s'empêcher de s'interroger sur ce qui pourrait se passer pour ces villes, si ces usines étaient la cible d'attentats.....

- La Catalogne veut son indépendance en eau.

Cette technique n'est pas uniquement réservée aux pays du Golfe, du côté européen, la Catalogne vient d'inaugurer la plus grosse usine23Isabelle BIRAMBAUX, La Dépêche du Midi du 10/08/2009) de dessalement afin de ne plus connaître de sécheresse comme celle de mai 2008. Cette nouvelle usine qui a coûté 230 millions d'euros (75% financée par l'UE) produira 60 millions m3/an soit 20% des besoins en eau de Barcelone. Dans le même temps le ministre catalan de l'Environnement et du logement (Francesc Baltasari i Albesa) a indiqué que les autorités ont sensibilisé la population, ce qui a permis de réduire la consommation d'eau de 120%. Barcelone est aussi approvisionnée en eau depuis l'Aragon qui accuse en retour la Catalogne de « voler » une partie de cette ressource naturelle. Mais selon Monier24Monier , “Le Rhône aux portes de Barcelone ? “, L’Express, 3 février 2000. il s'agit d'un coup politique « Madrid a peur qu'en renforçant ses ressources (...) Barcelone ne lui fasse politiquement plus d'ombre qu'elle ne le fait actuellement ».

La consommation d'eau douce espagnole est de 108 l/j/habitant, juste au dessus des 100 l/j/habitant, recommandée par l'OMS. Le seul bémol est que 22% de l'eau dessalée en Espagne est destinée à l'agriculture. Et étant donné que les coûts de production de dessalement de l'eau sont élevés (0,4 à 1,8 euros/m3), seules les cultures à forte valeur ajoutée (fruits) peuvent être économiquement viables. Rappelons aussi que les charges salariales et patronales sont plus basses qu'en France, ce qui représente un indéniable avantage comparatif pour l'exportation des productions sur tout le marché européen.

Si les pays disposant d'abondantes ressources pétrolifères et les pays occidentaux peuvent se payer de telles usines de dessalement, elles sont toutefois inabordables pour la quasi-totalité des pays africains et sud américains qui ne peuvent se permettre de subir une hausse brutale du prix de leur eau en fonction du prix du pétrole.

3. Transport massif d'eau. Quel statut pour ce type de marchandise ?

Les USA ont de gros besoin en eau notamment dans le sud-ouest de leur territoire. Le Colorado est aménagé tout au long de son cours pour subvenir au besoin de l'irrigation californienne, mais doit aussi fournir en eaux Los Angeles et son agglomération à raison de 120 m3/s. Las Vegas est à ce titre un beau contre-exemple de développement durable eu égard au nombre de jets d'eau, de bassin, et de piscines construits dans le désert. Et que dire de Phoenix où le nombre de piscines équivaut sensiblement au nombre de maisons (quartiers pavillonnaires).

Les USA ont une approche essentiellement quantitative de l'eau, ils abordent le problème de la ressource sous l'angle de l'accroissement des quantités disponibles et non plus de la seule rationalisation de la consommation. La valeur économique et sociale de l'eau semblent leur échapper, du fait des moyens financiers dont ils disposent par rapport aux pays pauvres et de leur modèle de croissance. Aussi les USA membre de l'ALENA 25ALENA : Accord de libre échange Nord-Américain. Les signataires sont le Canada, les Etats-Unis d’Amérique et le Mexique.se sont montrés plus qu’intéressés par l’achat d’eau en grand quantité en provenance du Canada26Lire à ce sujet : Frédéric LASSERRE, « L’Amérique a soif. Les besoins en eau de l’ouest des Etats-Unis conduiront-ils Ottawa à céder l’eau du Canada ? », revues internationales d’études canadiennes, 24, 2001, pp. 196-214..

Si des exportations d'eau, forcément assez massives pour être rentables, sont initiées, sera-t-il possible de contrôler le rythme des détournements ? A la fin des années 90, les canadiens se sont montrés favorables à l'exportation d'eau à la condition que le gouvernement canadien conserve le contrôle de la ressource en eau. Cependant, l'eau en tant que marchandise est exclue des dispositions de l'ALENA. Comme l'affirme Frédéric LASSERRE27Frédéric Lasserre, 2003, op. cit., p. 198: « l'eau, comme élément naturel coulant dans les rivières et s'infiltrant dans les nappes, n'est pas mentionnée dans le traité de libre-échange, au même titre que l'air ambiant. Aucune clause concernant l'accès à l'eau ne fait partie du traité de l'ALENA, autorisant ou interdisant son exportation ». Ce que rappelle la Déclaration conjointe du Canada, des Etats-Unis et du Mexique du 2 décembre 1993 : « l'ALENA ne créée aucun droit aux ressources en eau naturelle de l'une ou l'autre partie ».

En juillet 2001, Georges W. Bush a exprimé à Jean Chrétien (Premier Ministre canadien de l'époque) son intention de négocier une entente de partage global des ressources nord-américaines, ressources énergétiques, minières et en eau. L'incertitude reste le statut de l'eau à partir du moment où elle est exportée, c'est-à-dire où elle devient un bien commercial et que ce statut lui est reconnu par le Canada et les Etats-Unis à un prix convenu.

Les dispositions des traités commerciaux de l'ALENA ou du GATT28GATT : General Agreement on Tariffs and Trade, en français Accord général sur les tarifs douaniers. ne prennent leur sens que dans la mesure où l'eau est considérée comme une marchandise. A partir de quand l'eau, présente dans une rivière ou dans un aquifère, cesse-t-elle d'être un bien commun, comme l'air ou le soleil, pour devenir une marchandise.... ?
Si l'eau embouteillée constitue manifestement une marchandise, (voir notre article dans l'onglet dossier) peut-on pour autant considérer que l'eau sous toutes ses formes n'est qu'un objet commercial ? De la réponse à ces questions dépend l'applicabilité de l'article 315 de l'ALENA dont Frédéric Lasserre29Frédéric Lasserre, « Les projets de transferts massifs d’eau en Amérique du nord », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Hors-série 2 | septembre 2005, [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2005. URL http://vertigo.revues.org/index1929.html. Consulté le 26 août 2009. a clarifié le contenu : « les États-Unis, en cas de démarrage des exportations massives d'eau douce, se voient propriétaires à perpétuité d'une part des ressources hydriques canadiennes. Les volumes exportés ne pourraient être réduits que si l'eau était rationnée dans la même proportion pour les consommateurs et les entreprises canadiens ».

On comprend dès lors que le Canada qui était partisan de la vente d'eau de 1997 à 2001 continue de maintenir son moratoire sur toute exportation d'eau douce. Pour les hydro-politologues qui s'intéressent au sujet des transferts d'eau (B. Barraqué30BARAQUE B., Les Transfert d’eau dans le triangle Etat-Marché-Communauté, Ecole thématique « Les conflits d’usage en environnement ; le cas de l’eau » ; CNRS-MSH Alpes-Cemagref ; les Houches, 24-29 septembre 2000.), il faut réserver ces transferts « aux cas extrêmes où on ne peut pas trouver de solutions subsidiaires plus locales ». Comme l'explique Luc Descroix31DESCROIX L., Les transferts d’eau : transferts de pouvoir ? in « Eaux et Territoires », Frédéric LASSERRE et Luc DESCROIX, Presses Universitaires du Québec, 2002, p.108, « les transferts se font surtout de nos jours, d'un usage à l'autre : les agriculteurs revendent leurs droits d'eau aux villes qui peuvent la payer plus cher qu'eux en produisant plus de valeur ajoutée à partir de la même quantité d'eau ». Cela nous amène à aborder le concept d'eau virtuelle.

4. L'eau virtuelle.

Le concept d'eau virtuelle a été introduit en 1993 par John Anthony Allan. L'eau virtuelle est l'eau utilisée pour produire dans un endroit des biens exportables et consommée « virtuellement » dans un autre espace.

Une partie de cette eau « réelle » est perdu pour tout autre usage dans le bassin versant de la production, mais elle est consommée ailleurs. Au niveau mondial si les échanges d'eau réelle sont peu importants, les échanges d'eau virtuelle le sont : ils représenteraient 1300 km3/an. Comme l'eau virtuelle concerne essentiellement les denrées alimentaires, les pays exportateurs sont aussi les « citernes du monde » (USA, Canada, Australie aux ressources brutes pourtant peu importantes, et la France). Les importateurs sont les états du Moyen-Orient, l'Egypte et la Chine déficitaires en produits agricoles.

Dans le calcul de rentabilité de l'eau virtuelle, le facteur principal n'est pas la production au kg/m3, ni même la valeur nutritive, mais bien le prix sur le marché mondial. Il s'agit d'obtenir la meilleure valorisation (more cash per drop), en jouant sur les avantages comparatifs : les pays pauvres en eau sont souvent les plus ensoleillés et bénéficient de coûts de main d'œuvre très faibles par rapport à leur concurrent du Nord. Théoriquement en substituant au blé des agrumes, un agriculteur d'un pays peu arrosé peut gagner près de 1$/m3.
 

Cependant ce concept purement économique se heurte à plusieurs obstacles : 

- obstacle social : la population agricole est encore très importante dans les pays en développement. Supprimer cette activité économique sous prétexte qu'elle n'a pas de valeur ajoutée suffisante au regard d'une production industrielle, exige de fournir à ces agriculteurs une nouvelle activité dans les campagnes, de manière à prévenir un exode rural qui viendrait gonfler les villes dont les infrastructures sont insuffisantes (Lasserre32Lasserre & Descroix, Eaux et Territoire, Presse Universitaire du Québec, p. 87, 2002. ).

- obstacle idéologique : importer des denrées alimentaires qui étaient auparavant produites sur le territoire inquiète les Etats qui y voient un danger pour l'indépendance nationale et pour leur sécurité alimentaire. Si une crise alimentaire subvenait, les pays producteurs privilégieraient d'abord leur consommation interne en taxant fortement les exportations. Les pays ayant fait le choix de l'eau virtuelle se trouveraient en très grande difficulté et connaîtraient des « émeutes de la faim » (Blanchon 33Blanchon David, Atlas Mondial de l’eau, Autrement, coll. Atlas/Monde, janv. 2009, p.73. ). 

- obstacle économique : il existe des barrières tarifaires et non tarifaires (normes de qualité) qui empêchent les pays du Sud d'exporter leur production. De plus les cours mondiaux fluctuent : une hausse du prix des céréales (comme en 2006 et 2008 et 2011), rend la substitution de cultures moins intéressantes.

Ces exemples montrent les limites d'une vision strictement économique de l'eau : par son caractère irremplaçable et vital, l'eau a une valeur qui dépasse largement sa valorisation monétaire. Dans ces conditions quel est le prix à payer pour obtenir de l'eau pour tous ?

3 - Quel prix pour l'eau ?

Les grands groupes« Dieu a donné l'eau, mais pas les tuyaux ». L'eau usée comme l'eau potable nécessite un coût pour son acheminement (tuyaux, stations de relevage, etc....) et un coût de traitement important (STEP). Les techniques de traitements de l'eau potable (Ultra-violets, nano filtration, osmose inverse, ozone, etc....) influent grandement sur la qualité de l'eau, son goût et son coût. Les investissements sont lourds et avoisinent le million d'euros pour une commune de 15 000 habitants (on parle en Equivalent Habitant34L’Equivalent Habitant ou l’E.H. Il exprime la charge polluante contenue dans 180 litres d’eau usée c’est-à-dire la production d’un habitant / jour. Un Equivalent Habitant correspond à 60g de D.B.O5 , 135g de D.C.O, 9,9g d’azote, 3,5g de phosphore. L’Equivalent Habitant permet de déterminer le dimensionnement des stations d’épuration en fonction de la charge polluante. - EH)

 

Trois des quatre plus grands groupes de distribution d'eau et assainissement sont français. Il s'agit de VEOLIA ENVIRONNEMENT35Ancienne Compagnie Générale des Eaux rachetée par VIVENDI en 1998. VIVENDI est scindé en 2 groupes en 2000 : VIVENDI UNIVERSAL et VIVENDI ENVIRONNEMENT. Cette dernière est renommée VEOLIA ENVIRONNEMENT., SUEZ-LYONNAISE DES EAUX et la SAUR.

A - L'exemple français et européen.

1. Inégalité du prix de l'eau.

marchandeau11En Europe, le prix moyen global 36Etude réalisée par N.U.S. Consulting concernant les particuliers entre juillet 2003 et janvier 2008, dans les 5 plus grandes villes de 10 pays européens.(eau et assainissement) constaté entre juillet 2003 et janvier 2008, incluant les taxes applicables s'élèvait à 3,01 €/m3 en France contre 3,40 €/m3 en moyenne en Europe (voir le détail de la facture dans le tableau ci-dessous). L'héxagone se place en 5ème position après l'Italie dont le coût de l'eau est le plus faible en Europe (0,84 €/m3) mais également l'Espagne, la Suède et la Finlande. Le Danemark avec un prix moyen de 6,18 €/m3 possède les prix le plus élevé.

Prix de l’eau

En France il existe de grande disparité en fonction de la proximité et de la quantité des ressources. Ainsi la région PACA37PACA : Provence Alpes Côte d’Azur. qui dispose d'un climat méditerranéen (la saison la plus chaude est aussi la saison la plus sèche créant un fort déficit hydrique en été) devrait payer l'eau plus cher que dans le nord-ouest de la France régulièrement arrosé. C'est pourtant l'inverse qui se produit : l'eau est moins chère en PACA qu'en Bretagne ou Normandie. Les explications d'Yves Lacoste38LACOSTE Yves, L’eau dans le Monde, Les Batailles pour la vie, Larousse, Petite Encyclopédie, 2008, p.49.  : « il faut tenir compte du fait que les départements du Midi reçoivent de nombreux cours d'eau dont le débit est important, car ils descendent des montagnes bien arrosées (Alpes, Pyrénées, Massif Central). Par ailleurs, des barrages ont été construits dans les vallées pour stocker les eaux. En revanche, les cours d'eau sont beaucoup moins nombreux et leur débit est bien moindre en Bretagne ».

La fréquentation du tourisme balnéaire fait quadrupler certaines communes de l'Atlantique ou de la Méditerranée ; cependant les coûts de traitements ne sont pas les mêmes (Lacoste) : « les communes méditerranéennes jouxtent de grande profondeurs marines où il est possible d'envoyer discrètement sous pression l'eau des égouts, alors que le procédé n'est pas possible sur les côtes Atlantique (...) qui sont bordées par une plate-forme continentale de faible profondeur balayée par les marées qui ramèneraient les déjections sur les plages ».

2. Rejets des eaux usées en mer.

Le propos précédent est à nuancer, en effet depuis 1974 les eaux usées du Bassin d'Arcachon sont collectées depuis la pointe du Cap-Ferret jusqu'à Arcachon (soit 10 communes) et rejetées au large grâce Wharf de la Salie Sud. C'est un immense tuyau de 800 mètres datant des années 70. Pendant des années les eaux usées des communes du Bassin d'Arcachon mais aussi celles de la gigantesque papeterie de Smurffit Kappa (située à Facture-Biganos) qui produit la moitié des effluents (chlore, ammoniaque, résidus de la cellulose du pin comme la liqueur noire) ont été déversées dans l'océan.

Rejets en merLe Wharf est situé à 10 km au sud du banc d'Arguin ou de la dune du Pyla (là où sont élevées les huîtres du banc !). Seul un panneau interdisant la pêche dans un rayon de 2 km avertit les pêcheurs à la ligne de la pollution (le ponton du Wharf est toujours très prisé des pêcheurs !).

Les ostréiculteurs sont régulièrement interdits de commercialiser leur production ; ils se sentent dupés devant l'inaction des élus. On retrouve ici les problèmes d'usage et de gouvernance : de quel droit un industriel employant 700 personnes peut-il menacer un potentiel, touristique, agricole, ostréicole d'une région ?

Depuis 2006 le Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon (SIBA) a financé deux stations pour le compte de l'ensemble des communes du Bassin (Biganos et à la Teste-de-Buch). C’est la Société d’Assainissement du Bassin d’Arcachon (SABARC) qui exploite et entretien en affermage (voir après) ces infrastructures. La sous-Préfecture prévoit un accroissement de la population de 145 000 à 245 000 habitants en 2030, mais ces deux stations ne traitent ni les détergents ni les produits chimiques contenus dans les médicaments (difficulté technique que rencontre toutes les STEP). Par ailleurs la station de Facture (commune de Biganos) reçoit les eaux de la station d’épuration de la papeterie de Smurffit Kappa située à 500 m en amont. Connaissant les problèmes inhérents au délestage massif de pâte à papier lors des arrêts techniques (entretien de l’usine), on est en droit de se demander si le SIBA (Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon) contrôle la qualité des eaux qui intègrent son réseau.

3. Transparence sur la gestion financière en France : « L'eau paye l'eau ».

En France, la solidarité « villes – campagnes » se matérialise par le Fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE). Il a fonctionné de 1954 à 2004. Une redevance spéciale était perçue sur chaque m3 d'eau potable, et les sommes collectées étaient redistribuées pour subventionner les investissements des communes rurales. Cette solidarité existe toujours, via les agences de l'eau. Ainsi, sur la période 2007-2012, un montant d'un milliard d'euros d'aides spécifiques sera apporté aux communes rurales, via un conventionnement avec les Conseils Généraux.

Le principe de « l'eau paye l'eau39« L’eau paye l’eau » a été confirmé par le principe de récupération des coûts de la directive-cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000. » consiste à faire porter le coût des investissements par le consommateur final. Pendant des années l'extension des réseaux a été financée par l'impôt. Mais dans ce système les pauvres, non solvables, sont exclus du marché, aussi il convient que ce système soit accompagné d'aide directe ou d'un système de péréquation tarifaire.

Facture d'eau

Composition d'une factureEn France, que le service soit géré en direct ou délégué (voir plus loin), des normes comptables, établies en 1990 (puis en 1994 avec la loi Sapin), imposent l'établissement d'un budget spécifique et limitent les transferts de charge avec le budget général de la commune. Ce dispositif constitue un instrument de transparence et de saine gestion budgétaire40On appelle aussi cette pratique le « RING-FENCING » (séparation entre le service d’eau et le reste du budget municipal) qui interdit de fait la subvention de l’eau par l’impôt. : il évite de fixer les tarifs à un niveau supérieur à celui qui aurait permis d'équilibrer le budget du service, dans le but d'alimenter le budget général de la commune par le reversement d'excédents et, inversement, empêche de financer le budget du service par le budget général de la commune.

4. Les modes de gestion en Europe.

En France, comme dans le reste de l'Europe, il y a plusieurs types de gestion des réseaux de distribution de l'eau41Source : Office Internationale de l’Eau et le Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, Les services publics d’eau potable et d’assainissement en France, avril 2009  :

Type de gestion

Quel que soit le mode de gestion retenu, les collectivités sont toujours propriétaires de l'ensemble des équipements et responsables vis-à-vis des usagers. Entre la gestion directe et la gestion déléguée, il existe de nombreux types de situations intermédiaires. Certaines parties du service peuvent être déléguées, tandis que d'autres peuvent être assurées en gestion directe. Par exemple, la collectivité peut exploiter elle-même les ouvrages de production d'eau potable et déléguer seulement la distribution. Autre exemple, la fonction commerciale (facturation, recouvrement) est de plus en plus souvent confiée à un opérateur spécialisé. Quel que soit le mode de gestion retenu, il existe une réversibilité totale en fin de contrat, la collectivité pouvant décider de changer de mode de gestion.

Taux de privatisation pour la fourniture et l'assainissement d'eau42Sources : Eurostat 2001, IFEN 2002. A titre de comparaison : Canada : 326 l/j/hab ; USA : 295 l/j/hab  

Taxu de privatisation

5. Le levier du prix pour préserver la ressource.

Dans les pays développés, la tarification a permis de limiter l'assèchement de quelques nappes. La nappe de l'Astien dans le sud de la France a été mise en péril par l'irrigation, favorisant ainsi l'intrusion d'eau salée. Une taxe de 0,42 euros/m3 a été introduite. Sachant qu'il faut entre 2000 et 5000 m3/ha, le coût de revient est de 900 à 2300 euros/ha. Prohibitif ce coût à conduit à l'arrêt des cultures irriguées et à la reconversion des exploitations agricoles. Cependant comme nous l'avons vu plus haut les incitations de la politique agricole commune (PAC) allant dans ce sens, la superficie de terres irriguées dans les pays de l'UE est passée de 5 à 9% de la superficie agricole totale entre 1990-1992 et 2001-2003.

B-Pays en développement : une eau chère.

Les bases de l'irrigationComme on vient de le voir le prix de l'eau est un levier pour éviter les gaspillages, ce qui ne va pas sans susciter des tensions sociales (voir ZOOM SUR PEKIN). Mais, comment transmettre la valeur de l'eau si ce n'est par le biais de la tarification. Cet outil soulève une forte controverse dans les pays pauvres car le public effectue un double amalgame « la tarification entraîne la privatisation ; la tarification va exclure les plus pauvres ».

1. Prix élevé, service médiocre, l'Etat paye...

Les pays pauvres qui ne peuvent se payer un réseau d'adduction d'eau et d'assainissement fiables payent très souvent le prix fort à des vendeurs ambulants. A Ventiane (Laos) l'eau des vendeurs ambulants coûte 14,7 $/m3 contre 0,11$/m3 pour l'eau de la municipalité (soit 133 fois plus). A Delhi, certains habitants achètent leur eau 4,9 $/m3 alors qu'elle est facturée 0,01$/m3 au robinet (soit 490 fois plus).

Au Maroc43Traditionnellement le pays est régi par le droit de la chafa ou droit de la soif qui reconnaît à tout individu le droit de prendre, de tout point d’eau, la quantité nécessaire pour étancher sa soif et celle de ses troupeaux., l'usager ne supporte pas les coûts d'investissements, ni les charges d'exploitation liées à la maintenance de l'eau brute. C'est l'Etat marocain qui supporte ces charges liées aux barrages qui alimentent les grands périmètres irrigués44TENNESON & ROJAT, « La tarification de l’eau au Maroc, comment servir différentes causes », Afrique contemporaine, producteur d’eau potable (80% de la production nationale) et 1er distributeur avec 75même viAtlas/Monde, janv.. La tentative de vouloir faire payer un prix juste qui puisse compenser les investissements est un échec : ni les communes, ni les associations d'usagers n'arrivent à payer les frais d'exploitation. Certaines régies, comme Meknès ou Nador ne peuvent assumer le renouvellement de leurs infrastructures. Ainsi l'Etat et ses partenaires bien que ne subventionnant pas l'exploitation des réseaux, sont contraint de subventionner l'investissement (les pertes financières de l'ONEP 45ONEP : Office national d’eau potable, est un organisme public marocain autonome financièrement, 1er producteur d’eau potable (80% de la production nationale) et 1er distributeur avec 750 000   était de moins 50 millions d'euros en 2001). Le Maroc visait un taux d'accès à l'eau potable de la population de 90% pour 2007 ; ce taux n'était que de 87% dans les villes et de 50% en milieu rural en 2003.

2. Les espoirs déçus de la privatisation dans les pays pauvres.

Dans les pays en développement la distribution de l'eau au plus grand nombre s'effectue sous la pression des institutions financières telles que la Banque Mondiale qui prêche en faveur du secteur privé comme moteur efficace de la croissance et du développement.

Cependant les échecs des investissements massifs réalisés durant la décennie de l'eau (1980-1990) a démontré l'inefficacité des programmes qui ne tiennent pas en compte les spécificités des pays du Sud. Ces échecs sont le fruit de contrats de gestion peu précis (normes tarifaires, planification des investissements, entretiens, etc..) et du modèle économique fondé sur l'actionnariat. Or sans verser dans l'anticapitalisme primaire, les actionnaires sont plus intéressés par le profit rapide, ce qui démontre les limites inhérentes à la gestion monopolistique46 Impossible d’imaginer 2 ou 3 réseaux concurrents d’adduction d’eau et de collecte des eaux usées sur la même ville   d'un bien public et collectif par une entreprise privée.

Les raisons qui poussent à la privatisation procèdent d’idées reçues qui peuvent s’avérer lourdes de conséquences. Certains cas sont particulièrement révélateurs dans les pays en développement :

Au coeur du pays Masaï

1. Le secteur privé permet d'optimiser la gestion de la distribution de l'eau en étant plus efficace en termes de délais et de coûts. Cette « rationalisation des coûts », à première vue intéressante pour l'usager s'est traduite par un allégement de la masse salariale provoquant la mise à pied d'une partie du personnel qualifié. Cela se solde par un manque d'entretien des canalisations qui se répercute sur la qualité du service (cercle vicieux).
 
2. Les baisses des factures attendues se traduisent finalement par une hausse des tarifs. A La Paz (Bolivie), la privatisation du réseau a conduit à une augmentation du prix de l'eau pouvant atteindre 600%. Pire suite au licenciement du personnel, Aguas d'Illimani, la filiale d'Ondeo, ne pouvait relever les compteurs et la facturation est devenue forfaitaire, encourageant de fait le gaspillage, lui même entrainant une augmentation du prix du m3. Les plus pauvres ont encore bu la tasse.
 
3. Les opérateurs ne respectent guère leur obligation d'entretien des réseaux. En Argentine, le gouvernement a privatisé la fourniture d'eau et l'évacuation des eaux usées en 1993. Mais l'entreprise qui a obtenu le contrat n'avait pas prévu le coût de connexion des ménages à faibles revenus. Résultat : le gouvernement s'est vu contraint de subventionner les coûts à la connexion. Malgré ces subventions, l'entreprise demande 400$ pour l'entrée d'eau et 670$ pour le raccordement au réseau d'égouts ; des tarifs prohibitifs pour bon nombre de foyers.
La Paz

3. Solutions alternatives : tarification raisonnée et équitable.

A MayotteLe programme « Vision mondiale de l'eau » présenté au Conseil Mondial de l'Eau au sommet de la Haye en 2000 prévoit que pour tenter de raccorder le plus grand nombre d'usagers aux réseaux d'aqueducs et d'assainissement il faudrait 105 milliards de dollars par an durant 25 ans.
Comment mettre en place une tarification raisonnée et équitable qui permettrait d'entretenir le réseau et de pérenniser la ressource ?

La tarification n'implique pas nécessairement la cherté, ni la privatisation à de grandes multinationales. Une tarification raisonnée et équitable permet au contraire de planifier des investissements pour conduire l'eau potable à ceux qui en sont privés. Voici l'exemple 47Sophie COISNE, « De l’eau pour tous », Sciences et Vie n°211, juin 2000, p.132.  de Durban   : la municipalité a exigé dans son contrat avec Vivendi, l'instauration d'un service minimum permettant aux pauvres de puiser 6 m3/mois/personne gratuitement dans un réservoir à moins de 200 m de chez eux. De fait c'est la facturation des plus aisés qui permet de financer la construction des infrastructures et d'assurer une distribution d'eau potable aux plus défavorisés. Cette solution économiquement rentable comporte ainsi une dimension de justice sociale.

Exemple de tarification sociale48 Source : Johannesburg Water 2008, in Blanchon David , Atlas Mondial de l’eau, Autrement, coll. Atlas/Monde, janv. 2009. 

tableau7marcheau

L'idée d'une tarification plus juste fait son chemin, ainsi plusieurs pays (dont la France) appliquent de faibles tarifs pour les volumes de base, et des tarifs plus élevés pour les volumes supplémentaires à usage de loisirs (piscine).

4. Solutions alternatives : de « l'usager client » à un « usager partenaire ».

Il existe des solutions adaptées aux spécificités des pays du Sud. Il s'agit de favoriser participation des populations en faisant de « l'usager client » un « usager partenaire » comme le souligne David Blanchon49Blanchon David, Atlas Mondial de l’eau, Autrement, coll. Atlas/Monde, janv. 2009, p.75 . Cela peut prendre la forme de forum sur la modification du mode de gestion (planification du réseau, gestion de la facturation, etc....), ce qui remet en cause le modèle à l'occidental caractérisé par une gestion uniforme pour tous.

On assiste ainsi à la multiplication de micro-opérateurs privés desservant un quartier à partir de puits ou de bornes-fontaines, voire la construction de petits réseaux locaux, véritables circuits alternatifs de distribution. Cette flexibilité présente toutefois le risque d'une fragmentation de l'espace urbain et la persistance des prix élevés pour ceux qui ne peuvent acheter que des faibles quantités.

Ouarzazate5. La dualité de la fonction de l'eau.

La difficulté d'octroyer au secteur privé les coûts énormes de la rationalisation de l'usage de l'eau et de l'adduction du plus grand nombre à des réseaux fiables d'eau potable réside dans la dualité des fonctions de l'eau (Lasserre50LASSERRE Frédéric : L’eau un enjeu mondial, géopolitique du partage de l’eau , édition du Serpent à Plume, 2003 p. 207 ) : 

1. L'eau est un bien économique : elle coûte à produire, traiter, transporter. Elle est un outil de production et c'est cet usage qui est représente la plus grosse consommation notamment dans l'agriculture.

2. L'eau est un bien social : son usage est incontournable et non substituable. On ne peut vivre sans eau et il paraît inconcevable de priver un foyer d'eau sous prétexte qu'il ne peut payer sa facture, surtout si celle-ci inclut une marge de profit.

 

L'eau n'est pas un bien marchand comme les autres, s'il est concevable qu'il faille payer pour avoir un service et une eau de qualité à son robinet, il faut veiller à ce qu'aucun être humain n'en soit privé... Le chemin est encore long pour nombre de pays avant que ne coule de l'eau potable.

4 – Conclusion.

La crise de l'eau est d'avantage liée à la capacité de mobilisation (révélé par l'indice de pauvreté en eau51Voir carte en introduction) qu'aux ressources brutes. Si l'objectif fixé en 2000 de couvrir au moins 50% de la population mondiale semble atteignable, il n'est est pas de même pour l'assainissement.

Pour satisfaire les besoins en eaux il est possible de produire de l'eau (dessalement, aquatier, etc....), de la subventionner (PAC) ou, plus sage de préserver la ressource des prélèvements et des pollutions in situ (zones humides, nappes). Face aux défis techniques, financiers, et à la croissance démographique, la plupart des pays pauvres (Sahel et bassin du Congo) sont mal armés pour répondre aux besoins en eau potable et le sont d'autant plus pour l'assainissement (Afrique, Amérique du Sud). Ces pays resteront dans une situation critique jusqu'en 2020 selon les experts.

Par ailleurs, l'eau à un coût (traitement, distribution, salaires, etc....) mais elle possède aussi une valeur patrimoniale et culturelle forte. Cette vision a conduit à classer l'eau au patrimoine commun de la nation dans de nombreuses Constitution, mais il reste un fossé entre la proclamation du droit et sa mise en application. Face à ce défi, le rôle des opérateurs privés est crucial, car même s'ils doivent être rentables (comme toute entreprise), ils ne doivent pas oublier qu'ils sont avant tout des acteurs majeurs du développement social et économique dans de nombreuses régions pauvres. Satisfaire à tout prix les actionnaires pour ce secteur d'activité ne devrait pas être la priorité, car l'eau n'est définitivement pas une marchandise comme les autres. A ce titre la gestion à la française est une des plus équitables et des plus transparentes en terme financier (« l'eau paye l'eau », principe de « pollueur-payeur », etc....), mais elle se réalise dans un pays riche où les abonnés aux réseaux peuvent payer.

En se fiant aux analystes, ils semblent se dessiner une tendance des scénarios possibles pour 2025. Les pays du Nord ont fixé des objectifs de dépollutions très ambitieux, se posera alors le coût du traitement des pollutions diffuses et héritées (Bretagne, sites industriels, etc....) pour préserver la santé humaine. En effet, une des conclusions d'un rapport de l'ONU (mars 2003) est que de tout miser sur le traitement de l'eau est une bataille perdue d'avance et qu'il devient de plus en plus urgent de réduire ou d'éliminer la pollution à sa source.

Les pays émergents mettront en place des solutions techniques pour faire face aux pénuries, au prix de la dégradation de la qualité des eaux (salinisation, concentration des pesticides, phosphates, etc....).
Enfin dans les pays les plus pauvres (qui seront encore en Afrique), les problèmes seront identiques à aujourd'hui, mais aggravés par la pression démographique et l'augmentation des besoins en eau per capita.

© RCI -2010- Florian DELABRACHERIE
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
       

web : 

http://academie.biu-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/Maistre2005.pdf
http://vertigo.revues.org/index1929.html